mardi 28 avril 2009

A ne pas manquer!

Aline sera chez vos libraires le 7 mai 2009!!
A ne pas louper!!

lundi 20 avril 2009

Marco Koskas



Marco Koskas, né en 1951 en Tunisie, a été détective privé pendant de nombreuses
années, en parallèle de son activité d’écriture.
Auteur de douze livres, il a reçu le Prix du premier Roman pour Balace Bounel
Photo de l'auteur © J.M. Fiess

Aline, pour qu'elle revienne

Que s’est-il passé dans la vie de Maura Pelosi, entre l’été 67, quand elle quitte secrètement son village
corse de Scolenza, et ce jour de juin 2004, où elle meurt, accidentée, au même endroit ?
Et qu’est-il arrivé à Linda Puissessay, « pauvre petite fille riche », pour être jetée en prison comme une criminelle ?
De quoi sa mère, la belle Aline qui se bat contre l’erreur judiciaire, est-elle coupable ?
Et Ronald Zubiansky ? Trader, escroc ou gigolo ?
Autant de personnages aux multiples facettes et aux vies doubles, embarqués dans une intrigue qui va transformer leur vie en destin.
Le grand retour de Marco Koskas dans un roman policier, drôle et tragique.




Illustration de couverture : Pascal Daussat
ISBN 978-2-84219-459-8
19 €
278 pages
Publié aux éditions Baleine

www.editionsbaleine.fr

Lisez le chapitre 10 en exclusivité!

Chapitre 10
Linda revient vers les beaux quartiers par la place Clichy, où ça craint encore un peu. Mais, à partir du boulevard de Courcelles, elle se sent en pays ami, puis tout à fait chez elle en arrivant sur l’avenue de la Grande Armée, laquelle relie la place de l’Étoile à Neuilly via la porte Dauphine.
Sa messagerie gazouille enfin, alors qu’elle s’engage dans la rue Saint-James. « 23 heures au B & C » lit-elle sur l’écran du mobile, et son coeur se remet aussitôt à battre plus vite. Le B & C, comprendre le Bois et Charbons, est un bistrot de jeunes, qui se trouve dans le 11e arrondissement ; branché mais pas de luxe comme les cafés du 16e que Linda fréquente plus volontiers. Branché bohème, disons. Elle est aussi à l’aise dans les uns que dans les autres, mais elle a toujours le sentiment d’aller chez des cousins fauchés quand elle va dans le 11e. Là, elle est tellement tendue qu’elle se sentirait mal partout. Et il n’est que 20 heures. Encore trois heures à tuer avant de rencontrer le tueur de Ronald. Linda n’a pas l’habitude d’être dans un stress comme ça. Normalement, la vie est juste futile et marrante. Un joint ne serait pas malvenu.
Elle abandonne l’Austin au milieu de la cour pavée et se précipite dans son loft pour tirer quelques taffes de marie-jeanne. Après, ça va mieux. Beaucoup mieux, même ! La pensée et les émotions se remettent à vagabonder ; la vacuité reprend le pas sur la fébrilité. Avec un vieux Pink Floyd pour l’ambiance, tout devient aérien. Enfin, presque. Car la conscience dicte toujours sa loi, malgré tout. Linda a toujours ce meurtre à commanditer, à préparer, à mener jusqu’au bout, et cette vie à ôter, sauf si elle se dégonfle à la dernière minute. Elle peut encore y renoncer car enfin, il faut que ça en vaille vraiment la peine de commettre un meurtre. Il faut avoir des raisons impérieuses, ou en attendre des retombées mirobolantes. Or Linda veut tuer Ronald pour des raisons superficielles ; juste parce qu’elle n’a jamais souffert à cause d’un mec ; juste parce que c’est à cause de lui qu’elle souffre. Première souffrance donc premier meurtre, on peut résumer ses motivations comme ça. Le prétexte est un peu mince mais elle ne veut pas renoncer à ce projet, même si elle doit basculer ailleurs par la suite. Où, au fait ? « Dans quel monde passet- on après avoir commis (ou fait commettre) un meurtre ? » se demande-t-elle sourdement. Comme quoi sa conscience veille encore un peu. La marijuana tempère le questionnement mais elle n’éradique pas la question.
Deux heures plus tard Linda quitte son loft en fourrant 3 000 euros dans son sac à main. Forcément, le tueur demandera une avance. Elle ne sait pas combien ça coûte de faire assassiner quelqu’un, mais elle emmène toutes ses espèces. Pour se donner du courage, elle a également picolé : gin plus tequila. En général alcool et drogue ne font pas bon ménage, mais cette fille résiste bien à tous les psychotropes. Elle a beau être dans les vapes, elle constate quand même qu’elle est restée deux heures à la maison sans que sa mère ne descende la voir, ni ne l’appelle. Ce qui ne s’est jamais produit. Décidément, Aline tourne le dos à sa fille. Elle se trouve dans les bras de Ronald, et trop bien pour en bouger. Le monde de Linda vacille et change de nature par la faute de ce Ronald. Il le lui paiera, c’est promis.
Elle emporte un joint pour garder la tête dans les étoiles pendant le trajet, et tire dessus en roulant vers la place Dauphine.
Linda Puissessai est en crise aiguë et cela se voit maintenant à l’oeil nu.
Un coup de sifflet strident retentit d’ailleurs sur son passage place Dauphine, mais Linda ne le prend pas pour elle, et elle poursuit sa route sur la Grande Armée. Une voiture de police banalisée ne tarde pas à la rejoindre et Linda ne la voit pas non plus comme telle ; elle ne se rend pas compte que ce sont des flics. Elle se dit juste : encore des mecs collants ! Ils lui font signe de se garer mais elle croit que ce sont des travaux d’approche lourdingues, et elle leur répond en appuyant sur le champignon. Du tac au tac, ils appuient aussi sur le champignon, reviennent à sa hauteur et se rabattent pour la coincer. La poursuite n’a pas duré vingt mètres, mais Linda comprend enfin qu’il ne s’agit pas seulement de types collants.
Cela dit, elle a l’habitude des flics qui font chier juste pour abuser. Les frustrés de la maison Poulaga, elle les connaît par coeur, et elle sait y faire avec eux. Un sourire, et ils fondent comme neige au soleil.
Là, les circonstances la rendent nerveuse, et la marijuana lui ralentit l’entendement, de sorte qu’elle tarde à baisser sa vitre. Ce n’est pas qu’elle veuille les provoquer, c’est juste qu’elle est à la fois plus lente et plus speed que d’habitude, sans parler de ses yeux trop rouges pour faire croire à une conjonctivite ordinaire.
Deux des quatre gus descendent côté circulation, une main sur le colt et l’autre exhibant leur carte de Police, puis leur voiture avance un peu et s’immobilise devant l’Austin. Les deux autres descendent à leur tour et viennent achever l’encerclement de mademoiselle Puissessai. L’un demande les papiers du véhicule, tandis que les autres se mettent à examiner la carrosserie sous toutes ses coutures. Ça sent déjà la série de PV à 120 euros pièce, pour défaut de ceci et manque de cela. Mais ils commencent par le commencement.
– Vous avez essayé de fuir, c’est ça ?
– Pas du tout, je vous prenais pour des emmerdeurs…
– Vous vous êtes pas trompée, réplique le flic, on va pas arrêter de vous emmerder…
– Ça m’étonne pas de vous, lui balance Linda.
– Pas de rétroviseurs extérieurs, fait remarquer le plus vicieux des quatre.
– On me les a volés, répond-elle, un peu pâteuse.
– Et vous n’avez pas les moyens de les remplacer, hein ? Aline, pour qu’elle revienne
– Ben si, répond Linda, mais j’ai pas eu le temps… Ça s’est passé juste tout à l’heure…
– Ah bon ? fait celui qui examine ses papiers. Où ça ?
– À Barbès, répond Linda.
– Vous étiez à Barbès tout à l’heure ?
– Oui monsieur l’agent.
– Pourquoi faire ?
– Je voulais me ravitailler en couteaux de cuisine, voyez vous ?…
– Ça tombe bien aussi, on va vous cuisiner…
– Han han han ! réplique Linda grimaçante.
Dans son état normal, Linda aurait sûrement souri au lieu de répliquer, et l’affaire se serait soldée par un sermon convenu, du genre « Attention la prochaine fois ». Là, ça s’envenime parce qu’elle hausse les épaules comme n’importe quelle fille quand un type lourd essaie de la faire marrer. Or le flic ressent aussitôt le mépris de la bourge qui s’y croit, et il lui ordonne de descendre de la voiture. Elle refuse, il réitère l’injonction, une injure part, et voilà Linda arrachée à son Austin par la force. Ces messieurs n’hésitent pas. Ils s’y mettent à quatre pour la sortir de l’habitacle. Avec l’esprit chevaleresque qu’on leur connaît, ils la tirent par les cheveux, la plaquent contre la carrosserie et demandent déjà du renfort par radio, de peur sans doute de n’être pas assez nombreux à quatre garçons contre une fille. Mais elle a le tort de se débattre, et ils la menottent, les mains dans le dos, le nez écrasé sur le toit de l’Austin. Elle se débat de plus belle, ils la bastonnent, et ça devient le genre de bavure filmée à la sauvette par un riverain, qu’on voit parfois sur Planete No Limit. Malheureusement personne ne la filme. Il y a bien des voitures qui ralentissent pour assister au massacre mais seule une Twingo, immatriculée dans le 9-3, prend ouvertement parti pour la gosse de riche.
– Lâchez-la, bande d’enculés ! Lâche ça, connard ! gueule un petit brun, tout boulot, calé à l’arrière.
– Fils de putes ! leur lance une fille assise devant, en crachant son chewing-gum dans leur direction.
Mais ça ne va pas plus loin. Les banlieusards coupent court car les renforts arrivent déjà. Deux paniers à salade viennent en effet au secours des collègues en civil. En descendent dix flics en uniforme pour prêter main forte aux quatre premiers, ce qui fait forcément penser au vieux débat franco-français sur les effectifs pléthoriques de la fonction publique. La pauvre Linda est jetée dans le fourgon comme un paquet de linge sale, en plus amochée. Son nez pisse le sang, et elle a la lèvre ouverte. Elle est quasi inconsciente. N’empêche que les policiers ont besoin de croire qu’ils ont réussi à maîtriser un individu hautement dangereux. Dans le procès verbal qu’ils rédigeront, ils parleront de rébellion et d’outrages pour justifier leur propre violence. Plus personne ne croit à leurs balivernes mais les flics ne cherchent pas à être des narrateurs crédibles. Ils sont assermentés et ça leur suffit.
L’ennui, c’est l’alcootest. Incontestablement Linda a absorbé plus d’alcool que la loi ne l’autorise, avant de prendre le volant. Donc : retrait immédiat du permis et garde à vue en cellule de dégrisement. Au passage, l’équipe féminine du commissariat de la porte Maillot lui confisque son sac à main, son téléphone portable et sa montre à 20 000 euros, ainsi que son I Pod. Ne lui reste que ses yeux déjà rouges pour pleurer. D’un coup d’un seul, plus de dérivatif ; pas la moindre distraction pour faire passer le temps et supporter la douleur physique.
Linda découvre au débotté la philosophie de la garde à vue, qui s’articule autour d’une seule idée : dépouiller l’individu de tout le superflu et le dégrader d’emblée, pour ne lui laisser que sa vie intérieure. Quand on ne peut plus ni téléphoner, ni lire, ni écouter de la zique, ni même regarder l’heure à sa montre, il n’y a qu’au fond de soi qu’on peut trouver de la ressource. Encore faut-il avoir reçu un peu d’éducation religieuse, avoir pratiqué les retraites, carêmes, et autres pénitences qui sculptent la force d’âme. C’est une préparation indispensable pour affronter les ennuis avec la police, mais ce n’est pas l’éducation qu’a reçue Linda.
Heureusement qu’elle est bien murgée. Ça lui permet de s’écrouler sur le bas flanc de pierre qui fait office de lit dans la cellule. Elle s’y allonge toute habillée, toute tuméfiée. Ces salopards lui ont vraiment fait mal. Elle gémit sourdement en appelant Aline à l’aide, mais personne ne vient la consoler et elle finit par s’endormir seule au monde.
Pour ce soir, son rendez-vous avec le tueur est annulé. Remis à des jours meilleurs. Ou pires. Ça dépend de quel point de vue on se place.
Ce n’est que le lendemain matin qu’elle voit la tête qu’ils lui ont faite, sa lèvre boursouflée et son oeil droit au beurre noir. Jamais elle ne s’est vue défigurée comme ça. Et puis elle a mal partout, surtout aux cheveux. Deux policières bovines la traînent devant un collègue de sexe mâle et néanmoins dactylographe, qui procède à son interrogatoire. Après les questions d’identité, le flic lui demande à contrecoeur si elle souhaite contacter un avocat, mais Linda secoue la tête. Elle ne veut pas non plus prévenir qui que ce soit, et surtout pas sa mère. Ça ferait trop plaisir à Ronald de la savoir en garde à vue. Alors le flic passe au questions de fonds.
– D’où proviennent les 3 000 euros qui se trouvent dans votre sac ? lui demande-t-il.
– F’est à moi…
– Vous les avez retirés de votre CCP ?
– F’est quoi un Féfépé ? fait naïvement Linda, déformant les consonnes à cause de sa lèvre enflée.
– Vous vous foutez de moi ?
– Non, je fé pas fe que fé un Féfépé
– C’est un compte courant postal…
– Eh ben j’en ai pas !
– Alors il vient d’où cet argent ?
– De fé moi, fa fait deux fois…
– Oui mais d’où ça sort ?
– Merde !
Ils ne vont quand même pas recommencer à me taper, se dit elle en voyant le flic lui fondre dessus. Pas pour si peu, quand même ! Mais elle a tort, car une grande claque retentit sur sa joue, et Linda tombe de sa chaise. Après ça, plus moyen de la faire tenir assise. Alors le flic dactylographe appelle les collègues à l’aide car il ne comprend pas pourquoi la suspecte gît comme ça. « Je lui ai mis une tarte de rien du tout, se défend-il… » N’empêche, elle a fait un étourdissement qui nécessite au moins un sceau d’eau fraîche sur la figure. Or, en garde à vue, la toilette n’est pas prévue. Ni eau ni savon. On moisit sur pied, normalement ; comme la vigne malade. Pénitence is pénitence.
Le médecin appelé à la rescousse déclare son état incompatible avec la garde à vue, alors on la conduit à l’hôpital Beaujon en faisant pimpon. « Bon débarras » se dit le mâle dactylo. Elle commençait à lui courir sur le ciboulot ! Mais à Beaujon, l’interne de garde n’est pas d’aussi bonne composition que prévu par les policiers. Le gars s’appelle Jean-Eudes Boutillier, il a l’air d’un trentenaire normal, de nationalité française et parlant couramment la langue vernaculaire. Il demande néanmoins et avec insistance comment la suspecte s’est retrouvée dans cet état.
– Bah, elle s’est débattue quoi, ose dire le chef de convoi.
– Vous ne l’avez pas frappée ? questionne le jeune toubib.
– Non non, prétend le flic.
– Donc elle s’est poché l’oeil toute seule, ironise Jean-Eudes.
– D’une certaine façon oui, soutient-il.
– OK, vous pouvez disposer…
Les flics décampent après les procédures d’usage, et l’interne vient s’asseoir au bord du lit où Linda somnole, toute tuméfiée. Même au beurre noir, il devine qu’elle a des yeux en amande comme il aime, et il ne se lasse pas de la regarder. Normalement un médecin ne s’intéresse qu’à la souffrance, pas à la beauté de ses patients. Mais le docteur Boutillier est un esthète doublé d’un mystique, qui croit que la beauté mise à l’épreuve de la souffrance est réservée aux âmes supérieures… Il est d’emblée persuadé que Linda est un être de cette essence-là, on se demande bien pourquoi. À moins que sa perception soit particulièrement fine, et particulièrement aiguisée, qui sait ? Qui sait si sous l’apparence futile et le caractère odieux de Linda Puissessai, ne se cache pas un être à nul autre pareil ?…